vendredi 1 juillet 2011

L-F Céline ou le syndrome de la clochardisation

Il est possible, grâce à You tube ou autre Daily motion de voir des émissions de télévision remontant à des temps lointains en lesquels TF1 n’était pas encore une télé en béton comme disait ce cher Monsieur Polac. On peut même remonter aux temps du 819 lignes noir et blanc, des émissions de variété de Jean Nohain ou d’Henri Spade ; on peut voir Piaf coller une tarte à son compositeur Michel Emer, parce qu’il ne lui apporte pas de nouvelles chansons ; on peut aussi s’amuser avec Maurice Chevalier évoquant le music-hall d’avant quatorze et imitant Fragson. Grâce au partage de videos sur internet, j’ai récemment revu toutes les émissions littéraires consacrées de son vivant à Céline. Ah-la-la-la-la ; l’engin !

Si je m’esclaffe ainsi, c’est à cause de ma manie du propre ; elle règle ma vie de con depuis des lunes : Je ne peux pas quitter la maison sans avoir les dents brossées ; je ne sais pas commencer une journée sans une douche et une douche commence toujours par un shampooinage rigoureux et vigoureux ; sûrement ce qui m’a évité de perdre mes tifs, me masser le cuir chevelu - j’espère que tu as apprécié cette phrase en gourmet de la langue -.

Il faut également que je lave mes mains avant de passer à table ou de casser un bout de chocolat. Tenir une barre de maintien du métro, d’un bus ou d’une R.I.B me lève le cœur à l’avance, rien qu’à penser aux microbes de chiotte abandonnés là par tous les scrofuleux, tubards, chtouilleux et autres postillonneurs de saloperies pernicieuses. Pierre –mon ami Pierre qui baiserait une CX par le tuyau d’échappement s’il ne restait plus de vie féminine sur terre– m’a souvent supplié d’aller pisser dans les chiottes des restaurants de montagne plutôt que de lansquiner sur la neige comme un péquenot le long d’une piste délaissée. Moi, mettre la main sur la porte de gogues où se succèdent mille gugusses qui laissent des gouttes de pisse sur le carrelage et t’en déposent avec les mains sur les robicots, la serviette et le verrou…: ça me retourne l’estomac comme une chaussette que tu remettrais à l’endroit au sortir du lavage.
Alors le père Céline : Le cloduc de la littérature, mon pote. Boudu sauvé du style. Ah la vache ! Et pourtant, lorsque tu tombes sur des photos d’avant guerre, tu le vois bien sapé, colleté et cravaté dans de la belle étoffe, limite dandy. C’est après la guerre que ça se gâte ; d’abord au Danemark. Notes bien que là bas, il avait passé quasiment deux ans en cabane. Après, tu vois le mec qui se fringue en familier, en maison, en confortable. Puis ça se néglige. De retour en France, tu le vois propre-nickel, en 1951 mais ça dure pas. A peine installé dans sa dernière baraque, à Meudon, il se fringue comme un cloduc avec des bennes tachés, sans pli, qui godaillent autour de ses cannes que tu devines épaisses comme des bras de mendiant. Souffrant du froid en toute saison et en tous lieux, il empile des pulls, des gilets, des chandails, l’un sur l’autre, comme ça, superposés comme des peaux d’oignon ; autour du cou : un foulard et une écharpe. Dernière touche de pinceau au tableau : un gilet en peau de mouton, genre marchand forain ou une grosse gabardine en laine. La gabardine pour l’hiver, le gilet de mouton pour l’été. Et tout ça, fripé, douteux, pas soigné. Sortait pas de chez lui, très peu. Sortait pour ouvrir à ses chiens ou bien les rentrer. Ou des fois, rarement, accompagnait sa femme ou sortait avec un visiteur, en bagnole ; mais rarement, très rarement.
Qu’est-ce qui a pu se passer ? Surtout -tiens toi bien au fusil, j’enlève les cartouches- qu’en médecine, c’était le genre hygiéniste, tu vois le topo ? Le toubib qui te dit : Balaye, aspire, aère, nettoie et lave. Alors ? Geindre ; il aime bien geindre le madré ; c’est vrai qu’il se compose un personnage, un discours, un comportement. D’un autre côté, c'est un migraineux en diable, il a de l’arthrose à s’en mettre vendeur sur le marché, il est insomniaque, il a les oreilles qui sifflent comme un régiment de chefs de gare ; tout ça plus ou moins dû à ses blessures de quatorze –invalide à 75%–. Sa main et son avant bras blessé le font souffrir. Indéniable. La taule ; sa femme ses potes disent que ça l’avait cassé ; être haï également. Notes bien qu’il avait toute l’intelligence et la clairvoyance nécessaires pour comprendre le pourquoi et le comment de cette haine. Quant au froid, ça…Le Père Céline y bouffait rien ; se nourrissait de croissants, de pain et de thé et c’est marre ; alors le froid. Et puis, je ne suis pas médecin.
Comment Céline a-t-il pu prendre peu à peu l’allure d’un clodo ?

Je me souviens, lorsque je révisais mes examens, je me collais la tête dedans, 24 heures sur 24, pour compenser les semaines et les semaines de glande. Rapidement, ma tenue s’en ressentait. Le rasage ; je sortais dans la rue m’oxygéner dans l’air du mois de Juin, tel quel, habillé comme un plouc. Me foutais de mon allure ; ma vie se réduisait à des connaissances qu’il fallait mémoriser.

Un petit pavillon planté à un angle de rue, pas loin de chez moi, appartient à plus personne. Son propriétaire est canné, en 98 ou 99 ; sans héritiers, sans famille, sans rien. Ce petit pavillon est resté bouclé, comme ça, bouffé par les haies et les herbes folles. Un jour, la vie est revenue là dedans. Je ne voyais personne ni y entrer, ni en sortir mais on voyait qu’il y avait de la vie. J’ai pensé à un clodo car dans les mois qui précédaient, la porte d’entrée s’était mise à rester entr’ouverte : des racailles ou des mômes curieux. Puis ça s’est professionnalisé. L’occupant fermait. Et dans le minuscule jardinet qui entoure la baraque, des objets se sont accumulés ; des merdes récupérées à droite-à gauche ; des inutilités. Et ça s’accumulait mon pote ! Un bric à brac ; inexploitable. Tu penses, tout était gerbé l’un sur l’autre : tricycle d’enfant, ustensiles de cuisine, caisses en bois et plastique, tabourets, armoires de toilette, tout ! Tout ce que les gens foutent ordinairement dehors le gars récupérait et stockait. Je l’ai vu plusieurs fois le mec. Barbu. Soixante carats ; sortait de son gourbi. Années après années, ce fut une carapace d’objets qui entoura cette baraque. Les bons voisins ce sont évidemment inquiétés de la chose, tu penses. Le Maire a convoqué le mec. Qui est venu. C’était un tech de France Télécom à la retraite. La mairie lui avait proposé un logement social ; dont il n’avait pas voulu. Le gars avait plusieurs apparts à Paris ainsi que son domicile officiel dans une commune voisine. Il venait là de nuit. Pas tous les jours. Et puis un jour, on l’a plus vu. Je ne sais plus quand le voisinage a porté le pet à cause de l’odeur. Effectivement, ça fouettait, la vache ! Du trottoir tu sentais la puanteur. Les archers du roy avec des gars de je ne sais quel service sont venus pour vider le truc un matin. Ils sont entrés dans le gourbi. La baraque était murée de l’intérieur, dis ! Et par un accumoncellement du même genre qu’à l’extérieur. Le mystère. Sauf que les mecs sont tombés sur le cadavre du gars. Les rats avaient bouffé ses guitares, du pied jusqu’à l’aine…

Comment un mec évolue t-il de tech à France télécom, à retraité clochardisé, passant son temps a stocker et ramasser des merdes ? Comment un écrivain mondialement connu, passant pour une des deux plumes du XXème siècle a-t-il voulu se transformer en clodo ? Il avait été convaincu de collaboration ? Merde ! Et combien de condamnés à la libération n’en sont pas devenus clodos pour autant : Xavier Vallat, Charles Maurras, Jacques Chardonne, Lucien Rebatet, Paul Morand, Henry de Montherlant pour ne citer qu’eux.

Lorsque je verrai un jour un ami plutôt perdu de vue, psychothérapeute de son état, je ne manquerai pas de l’interpeler sur le phénomène « clochardisation ». A moins qu’une explication de charbonnier suffise : Ils ne veulent plus de la société ou bien la société ne veut plus d’eux, alors ils font ce qu’il faut pour que cela se voit.




















1 commentaire:

  1. BOOZB charliedestartinn @yahoo.fr26 octobre 2012 à 11:33

    Merci de ta question . Je n'ai pas le temps de ne pas y répondre ( trop long si tu n'as pas toi même déjà une adresse de réponse ).
    Pourquoi ? demandes-tu ; Pourquoi ,après 2 guerre, des pantalons sans plis ?

    L'excès en tout rend la vie insupportable.L' excès d'intelligence perceptive , une vision de qualité excessive sur un environnement humano toujours excessivement navratilovant ...
    Tout cet excès de clairvoyance rend l' existence insupportable , très précisément par tout ce qui fait croire au possible fantastique du destin humano.
    Une jeunesse , voir une année ou deux de bonheur explosif,ou même seulement un ou deux flash majeurs réussis, suffisent à lancer une vie vers le haut et à faire croire au possible d'un bonheur supérieur pour c't'humanité. " ..there was times she was a woman, and there was times she was just a child.." Ce genre de rève des tableaux d' Abdul Matti Klarwein.
    Mais c'est cet excès de vitesse dans l'appréhension de la vraie douleur: toute l'autosatisfaction des peuples de poulets devant la nouvelle et belle usine Kentucky Fried Chicken ...

    J' appelais ça " syndrôme du scorpion" , à l' échelle d'un individu . Quand ta supériorité d' espèce,ton seul cadeau génétique = intelligence & force de vie, pour l'humano ( le telson+ venin pour le scorpion) devient cause ,puis outil de ta propre destruction.
    Face à challenge impossible (misère érigée en système),l' énergie d' homme va l'auto-détruire .Faible :il vivra, fort :il est foutu.
    La seule impossibilité c'est que cette énergie ne se produise pas, ne sorte pas.
    Face au challenge impossib d'un cercle de feu , le scorpion se suicide en usant de son propre avantage d' espèce : il se pique car sa force ne peut résoudre son problème de survie.

    Un homme - en bonne santé- meurt quand il a perdu l' envie de vivre .Même le plaisir d'une seule cloppe suffit. L.F. Destouches est mort de cette façon :fin lucide de toute envie de vivre. Même pas besoin de vrais maladie .
    Il a tout visité du troupeau de poulet de son époque .Il a compris le synop du dispositif du Kentucky Fried Chicken , vu de dessus le piège , il a expliqué , nommé les directeurs de l' usine .
    Ils n'ont eu qu'à lancer la rumeur "Céline antisémite" , et la marche du troupeau a repris avec ferveur.

    Ta thèse sur les symptômes vestimentaires de cette disparition d'envie de vivre est bien partie.Tu ne pouvais choisir de meilleur exemple .

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