jeudi 28 juillet 2011

La notion de service public

Vous allez me dire, cher lecteur, que je raconte ma vie. Mais c’est le sort de tout grifouillon qui place quelque chose sur une feuille de papier ! Alors, allons-y, racontons-là cette vie. Oh, ce ne sera pas bien intéressant, ça ne volera pas bien haut ; c’est que je ne suis pas allé au Brésil, ou même en Inde pour voir les fakirs s’assoir sur des marteaux et bouffer des clous. Non. Je ne vais même pas en Tunisie où pourtant c’est pas cher et têêêêêllement bien ; un bon accueil et tout ça ; et ils sont gentils et en plus, ah, oui, ils sont beaux les gens, oui ! Pas comme les… bon c’est entre nous, allez pas croire que…bien ; j’y vais : Eh bien, les antillais, là bas ; ah, cet accueil ! On t’envoie promener, dans le genre : « vot’ ve’ vou-vou le se’vé tout seul, je suis pas vot’ esclav’ ». ça, je ne connais pas. Les vacances en Tunisie, ou pire dans les D.O.M, non c’est pas pour moi ; et puis, je ne veux pas vous parler de vacances, mais de la vie, là, telle qu’elle est chaque matin quant on constate que ça recommence et chaque soir quand on se dit que c’est pas fini.

J’ai probablement dû vous déconner quelque chose au sujet de ma maison de loisirs, dans le grand Ouest français. J’ai un jardin à entretenir ; couper, tailler, tondre ; pas que ce soit grand, non, mais ça génère quand même son lot de contraintes et d’emmerdements. Justement au sujet des pelouses, des arbres et des arbustes qu’il faut toujours tondre et couper, j’avais eu la présence d’esprit, au moment d’acquérir le bien, d’acheter également la remorque du précédant propriétaire. Et pourquoi ? Parce qu’elle offre une belle contenance. Et ça va vite à remplir ; oh là ! Très vite. Une aller simple sur le tracteur à tondre et hop ! t’as déjà rempli le panier. Et comme le vendangeur, le panier tu le vide dans la remorque ; et puis tu recommences, huit fois, dix fois, douze fois. Pas un métier de fainéant, tu y penseras lorsque tu sigleras au noir ton jardinier clandestin. Donc cette remorque, elle a une plaque d’immatriculation ; comme ton auto. Détail me diras tu ? Ouais, sauf que si tu l’achètes cette remorque, il faut que tu l’immatricules, à ton nom, à ton domicile, auprès de ta préfecture ; tu commences à piger, tu es malin ; et c’est normal, sinon, tu ne serais pas ici.

Cette histoire d’immatriculation cela fait presque un an que ça dure ; pourquoi ? Pour une bonne raison, ça m’emmerde. Aussi, ce matin je me fais la totale : Récupération du non gage via internet, du fond de page en .pdf, remplisage du .pdf, du certificat de cession ; en prime je fouille dans les papier de la maison pour trouver une quittance de quelque chose émis par un fonctionnaire ou toute autre espèce protégée, je prend à tout hasard mon chéquier au cas ou leur lecteur de carte bleue aurait du mou dans la corde à nœuds et je consulte les horaires de la préfecture : quelle chance, c’est ouvert en non-stop, comme RTL ! J’y vais donc pendant l’heure du déjeuner. J’y arrive vers une heure et demi de l’après midi. Et là…

Et là, j’ai déjà le plaisir de rassurer dans l’ordre et dans le désordre, tu remets ça comme tu veux : Médiapart, La LICRA, le MRAP, les Verts, la rédaction de Libé, l'Université, le Monde, France Inter, SOS Racisme, le DAL et autres associations de pleureuses. L’émigration c’est un business qui tourne ; et bien même ! A fond ! La pompe à émigrés fonctionne impec ; bien huilée. Tous les joints sont nickels, pas de prise d’air sur un tuyau ; Non, ça pompe à fond. Et ça te renouvelle des cartes de séjour à tour de bras. Soyez rassuré, j’y étais. Il faudrait faire plus ? T’inquiètes pas, on s’y emploie. Et puis, y a les clandestins, t’oubliais les clandestins. Là, ils étaient bien. Se serrant les uns sur les autres, s’essayant à la discipline avec leurs fafiots en pogne. Ah oui, que des étrangers sur 256 niveaux de gris, voire même sur 16 millions de couleurs. Ah, ici, on s’emmerde pas. On chipote pas ; on n’est pas avare de moyens ni de mots. Comme Malraux : je t’en file pour ton argent et avec des adjectifs mon pote ! Comme s’il en pleuvait. J’arrive donc là, mes précieux documents dans la sacoche. Je débarque en plein tiers monde ; et puis du tiers monde dégrossi ; fatal, il est en France depuis un petit moment ce tiers monde là. Aussi, il a gardé ses tares d’origine et, comme il est consciencieux, et que la dame de l’état-civil lui a dit de s’intégrer, alors, il acquiert aussi les nôtres de tares. Donc ce genre d’étranger là, il resquille dans une apparence d’ordre, il attend en renâclant bruyamment, il apostrophe les vigiles, il faut semblant de pas comprendre puis il comprend quand ça va vraiment chier. Bref, c’est le peuple ; l’homme tel qu’en lui-même, sous toutes les latitudes, exhibant sa connerie comme un saint sacrement. Seulement, surprise ! La jolie sous-préfecture qui fait du RTL non stop eh bien elle écrase sa chique le midi. Elle fait sa pause. Et a l’accueil c’est vide. C’est laconique. T’as personne. Sauf un mot qui te dit que c’est fermé. Et j’ai idée que les étrangers qui sont là, à force d’avoir fait toutes les étapes du tour de la solidarité, ils ont acquis l’expérience du service public. Et tous ces mahométans, maghrébin, sahariens, sub-sahariens et tout ce que tu veux, ils savent. Ils ont appris. Ils ne savent pas lire mais « Ouvert » et « Fermé » ils reconnaissent les signes. Ce sont passé le mot. Tu passes, tu passes pas.

Bec enfariné, je tombe donc là-dessus. J’attends. Arrive un peu plus tard, l’hôtesse des lieux, la dame de l’accueil. Elle a le faciès lusitanien la dame de l’accueil ; l’accent aussi ; léger. Oh, non, j’ai rien à redire Monsieur Désir, monsieur l’agent, monsieur Plenel. J’ai tellement rien à dire que si cette dame est là, qu’elle marne dans un service public, fatalement elle est française, donc on appartient à la même collectivité de cœur et d’esprit ; sauf, sauf – et vous allez me trouver chipoteur- sauf si l’accueil est sous-traité à une société privée. Et dans tout les cas, c’est pertinent cette histoire de lusitanie ; Oui ; tu embauches des noirs et des arabes pour faire la surveillance des super-marchés contre la fauche afin qu’ils s’arrêtent entre eux et qu’on ne perde pas de temps avec « raciste, tu m’arrêtes parce que je suis noir et tout le toutim habituel ». Il y des portugais dans mon canton, donc la dame est porthos, c’set cartésien comme approche. Donc cette dame met tout de suite la foule au parfum, cette foule qui dégage déjà un tel fumet, stockée qu’elle est depuis 8 heures ce matin ! – Pour les permis et les cartes de séjour, ceux qui ont un rendez-vous à 14 heures donnez moi vos papiers ; les cartes grises c’est demain matin à partir de huit heures, vous prendrez un numéro et c’est les soixante quinze premiers…soixante quinze. Après, c’est fini.

First in, first out. Mieux que Sinatra. Cela veut dire que tu commences à te stocker dehors à partir de six heures du mat, t’attends jusqu’à huit heures et dès que ça ouvre, tu fonces pour choper ton ticket. J’ai idée qu’il doit y avoir du coup de coude, de l’invective, de l’oeil poché à huit heures. Surtout que pour leurs papelards de Chance-Pour-La-France, c’est pareil ; même partition. Ça ouvre à huit heures et first in, first out pour passer la première étape, le premier rendez-vous du cursus d’attribution des « papiers » devant le premier fonctionnaire. Pétain, toujours là ; l’Occupe pas morte. La France ? Le bled où tu fais la queue. Au suivant, au suivant ! La fluidité ? C’est pas de ce monde. Ah ils ont dû bien se faire chier pendant l’Occupe nos grands-parents : Faire la queue pour le pinard, pour la viande, pour le pain, pour le lait, pour les légumes, pour les cartes d’alimentation, pour la carte de charbon, la carte de chaussures, le permis de rouler à vélo, l’ausweis pour aller voir la tata Léonie… et, cerise confite au dessus du gâteau : Encore des étrangers ; de proximité certes, mais envahissants les boches ! En pays conquis ; remarques…

Je m’enquiers de la chose, je traîne, je regarde, je questionne un peu et là, LUMIERE. Fiat lux. J’étais allé faire immatriculer une de mes autos de collection il a un ou deux ans de cela. Et point question de numerus-closus ; pas de soixante quinze.

Eh bien oui, réfléchis lecteur passif. Les guichets étaient vides. Vides. Complètement vides. Juste deux gus. Pour tout assurer. Eh, oui, c’est les vacances ! Les vacances du fonctionnaire ! Et le fonctionnaire, pas con il est ! Sûrement pas. Il a des droits le fonctionnaire. D’ailleurs, tous les étrangers le savent : Tu y a doit ; j’y ai doit ; c’est mon droit ; jusqu’aux racailles qui ont le droit au respect et qui demandent aux flicards de leur dire leur droits quand ils se font serrer ; comme à la télé : « vous avez le droit de garder le silence et vous allez avoir un baveux qui va s’occuper de vous ». Il a donc droit à ses vacances le fonctionnaire. Donc, il les prend ses vacances. En Juillet. Pas con. Comme il ne se passe rien ; et quand il revient début Août, il peut tout peinard, buller jusqu’au vingt, disons vingt-cinq Août. Correct.

Te dire ce que j’en pense ? Non. Pas la peine, ça risquerait, si cela n’était pas déjà fait, de signaler cette page aux flics-cyber-pisteurs qui épient les blogs. Déjà avec « SOS racisme », « étrangers », « immigrés », « chance pour la France », « LICRA » et autres occurrences, ce blog si tant chic et de tellement belle tenue risque de tomber sur la vigilance d’un poulardin de la pensée en boite…alors si je me mets sur le dos des fonctionnaires…là c’est fichu ! Je mobilise un archer du roy rien que pour moi, pour surveiller mes déconnades ; et à plein temps encore ! Pendant un an à pister le flagrant délit ! L’incitation à ceci ou cela ; ça va vite ; oh, oui. Surtout avec le dingue de Norvège qui a flingué dans tous les sens ; ça il y en a eu du balayage de blogs ce week-end et cette semaine. On ne saurait trop leur en vouloir aux flics, ce d’autant que les dingues de ce calibre, ça tient toujours un journal, donc aujourd’hui un blog.

Et c’est vrai que certaines situations dans la vie te donneraient envie de tirer dans le tas. Mais voilà, on a un Surmoi bien gros, bien propre, on a un Ça et un Moi bien rangés, bien proprets. Oh, il y a bien du bordel dedans si tu ouvres les boîtes ; mais non, tu es socialisé, auto-contenu, tu ne passes jamais à l’acte. Jamais. Juste une claque au gosse de temps en temps – et que tu regrette – un coup de pied au cul du chien, un doigt à l’automobiliste et ça s’arrête là. Quoique pour les fonctionnaires…

Eh vas-y, toi aussi m’sieur l’agent, toi qui surveille le blog, j’t’embrasse, j’espère que t’as rigolé en le lisant. Ah c’est vrai, t’es fonctionnaire, j’avais oublié. Bon, ben bonnes vacances les filles !

mardi 19 juillet 2011

L-F Céline, la FNAC, la Police des idées, la calibration de la culture

La F.N.A.C. obéit servile à la bien-pensance gouvernementale ! La F.N.A.C. soustrait Céline à l’attention de ses clients !

Voilà bien des gueulements sans fondements ; des invectives de provocateurs ; on attend même que ceux-ci stigmatisent qui ou quoi ; on devine déjà que de telles apostrophes ont des relents de gna-gna ou bien de gnan-gnan ; on se doute bien que de pareils connards capables d’insulter un fonds de commerce hautement honorable tel que la F.N.A.C. sont incapables d’un jugement citoyen ! Ouais, on se doute, on devine et on s’attend ; on s’attend au pire bien sûr ; on s’attend à ce que de tels excités ne nous soient amenés ici que dans les fourgons de cet autre-là, ou encore de cet autre-ci ; des fourgons !


Eh bien on a tort.
 
Voici de cela quelques jours j’ai provisoirement quitté l’Altermondie -autrement dit la région parisienne- pour un coin d’Europe de l’ouest, plus précisément pour une province de C’pays. Voulant apprendre à lire, je monte à la sous-préfecture pour acheter un livre ; t’as bien lu : Pas une carte routière ou un recueil de recettes de cuisine, non ; un livre. Hélas, ce pauvre bled est bien mal loti puisque l’indispensable FNAC n’y a pas ouvert de représentation. Tentant le tout pour le tout, je me risque dans la librairie locale, soit dit en passant, un grand commerce puisqu’il s’élève sur quatre étages et sur des mêtres et des mêtres carrés.


Parvenu à l’étage de la littérature, je flâne, nez au vent, confiant, abandonné, heureux. Et vlan ! En face de moi, une tête de gondole consacrée à Céline ; merde ! Stupéfaction. Incrédule, j’en fixai l’image pour vous, pour l’histoire, pour moi également afin pouvoir me prouver, le lendemain matin, qu’il ne s’agissait pas d’un rêve.




Eh bien non ; pas de rêve. Mais un cauchemar. Une cauchemardesque conclusion. La F.N.A.C. manipule les esprit des clients ; c’était là, évident, sous mes yeux. Comment une librairie d’une sous-préfecture de province peut-elle consacrer un morceau de son espace de vente à un écrivain tandis que la F.N.A.C. s'en dispense, a fortiori dans un de ses magasins installé dans la capitale de C’pays. Incompréhensible ; ou, si ; très compréhensible. La F.N.A.C. t’apprend à penser ; fais-pas ci, fais-pas ça ; pas de relents, pas de fourgon, pas de stigmates ! Des citoyens ; voilà ; des citoyens lecteurs ; et qui lisent bien ! Des lecteurs aux lectures citoyennes approvisionnés par la F.N.A.C, magasin de propagande et de servilité qui se couche là où des entreprises régionales se tiennent debout. Lisons en paix, la F.N.A.C veille, aux ordres du ministère de la culture, de la néo-mitterrandie, de la pensée unique validée par Médiapart, La LICRA, le MRAP, les Verts, la rédaction de Libé, l'Université, le Monde, France Inter, SOS Racisme, le DAL et autres associations de pleureuses. Ah ! Surtout l'Université françouaise que le monde entier nous envie! Vous en voulez ? Mais prenez-là ! Elle se donne à n'importe quel maquereau l'université !

Oui, joli monde de connards ; de censeurs aux pensées vénéneuses ! Allez en paix ; tous ! Mitterrand, F.N.A.C. , citoyens ; débarrassez-nous le plancher ! Libres ! Libres d’aimer ou d’ignorer qui on veut ; libres ; libres ; Libres.

Comme il m'aurait plu qu'une librairie de province fronçât le nez sur une litterature pornographe, grossière, salingue, raciste ; une sale littérature même pas humaniste. Une littérature à relents. Eh bien même pas. La censure, c'est Paris qui en donne le "la" et dans ses magasins les plus emblématiques.

Ta gueule Paris !

mardi 5 juillet 2011

La parole est à Ferdine

Je suis par hasard tombé -sans me faire mal- sur une très courte composition de Céline. Il s'agit de la préface d'un petit livre que l'histoire a oublié et dont l'auteur avait sollicité le docteur Destouches afin qu'il le préfaçât.

Voilà, c'est un beau poème en prose, tout en retenue, beau comme un pavé de cour d'usine.



Pauvre banlieue parisienne,

paillasson devant la ville où chacun s’essuie les pieds,

crache un bon coup,

passe,

qui songe à elle?

Personne.

Abrutie d’usines,

gavée d’épandages,

dépecée, en loques,

ce n’est plus qu’une terre sans âme,

un camp de travail maudit

où le sommeil est inutile,

la peine perdue,

terne la souffrance.

« Paris, capitale de la France! »

Quelle chanson!

Quelle publicité!

La banlieue tour autour qui crève,

qui s’en soucie?

Personne, bien-sûr!

Elle est vilaine, voilà tout!

Banlieue de hargne vaguement mijotante

d’une espèce de révolution

que personne ne pousse ni n’achève,

malade à mourir toujours et ne mourant pas.




 
 

vendredi 1 juillet 2011

L-F Céline ou le syndrome de la clochardisation

Il est possible, grâce à You tube ou autre Daily motion de voir des émissions de télévision remontant à des temps lointains en lesquels TF1 n’était pas encore une télé en béton comme disait ce cher Monsieur Polac. On peut même remonter aux temps du 819 lignes noir et blanc, des émissions de variété de Jean Nohain ou d’Henri Spade ; on peut voir Piaf coller une tarte à son compositeur Michel Emer, parce qu’il ne lui apporte pas de nouvelles chansons ; on peut aussi s’amuser avec Maurice Chevalier évoquant le music-hall d’avant quatorze et imitant Fragson. Grâce au partage de videos sur internet, j’ai récemment revu toutes les émissions littéraires consacrées de son vivant à Céline. Ah-la-la-la-la ; l’engin !

Si je m’esclaffe ainsi, c’est à cause de ma manie du propre ; elle règle ma vie de con depuis des lunes : Je ne peux pas quitter la maison sans avoir les dents brossées ; je ne sais pas commencer une journée sans une douche et une douche commence toujours par un shampooinage rigoureux et vigoureux ; sûrement ce qui m’a évité de perdre mes tifs, me masser le cuir chevelu - j’espère que tu as apprécié cette phrase en gourmet de la langue -.

Il faut également que je lave mes mains avant de passer à table ou de casser un bout de chocolat. Tenir une barre de maintien du métro, d’un bus ou d’une R.I.B me lève le cœur à l’avance, rien qu’à penser aux microbes de chiotte abandonnés là par tous les scrofuleux, tubards, chtouilleux et autres postillonneurs de saloperies pernicieuses. Pierre –mon ami Pierre qui baiserait une CX par le tuyau d’échappement s’il ne restait plus de vie féminine sur terre– m’a souvent supplié d’aller pisser dans les chiottes des restaurants de montagne plutôt que de lansquiner sur la neige comme un péquenot le long d’une piste délaissée. Moi, mettre la main sur la porte de gogues où se succèdent mille gugusses qui laissent des gouttes de pisse sur le carrelage et t’en déposent avec les mains sur les robicots, la serviette et le verrou…: ça me retourne l’estomac comme une chaussette que tu remettrais à l’endroit au sortir du lavage.
Alors le père Céline : Le cloduc de la littérature, mon pote. Boudu sauvé du style. Ah la vache ! Et pourtant, lorsque tu tombes sur des photos d’avant guerre, tu le vois bien sapé, colleté et cravaté dans de la belle étoffe, limite dandy. C’est après la guerre que ça se gâte ; d’abord au Danemark. Notes bien que là bas, il avait passé quasiment deux ans en cabane. Après, tu vois le mec qui se fringue en familier, en maison, en confortable. Puis ça se néglige. De retour en France, tu le vois propre-nickel, en 1951 mais ça dure pas. A peine installé dans sa dernière baraque, à Meudon, il se fringue comme un cloduc avec des bennes tachés, sans pli, qui godaillent autour de ses cannes que tu devines épaisses comme des bras de mendiant. Souffrant du froid en toute saison et en tous lieux, il empile des pulls, des gilets, des chandails, l’un sur l’autre, comme ça, superposés comme des peaux d’oignon ; autour du cou : un foulard et une écharpe. Dernière touche de pinceau au tableau : un gilet en peau de mouton, genre marchand forain ou une grosse gabardine en laine. La gabardine pour l’hiver, le gilet de mouton pour l’été. Et tout ça, fripé, douteux, pas soigné. Sortait pas de chez lui, très peu. Sortait pour ouvrir à ses chiens ou bien les rentrer. Ou des fois, rarement, accompagnait sa femme ou sortait avec un visiteur, en bagnole ; mais rarement, très rarement.
Qu’est-ce qui a pu se passer ? Surtout -tiens toi bien au fusil, j’enlève les cartouches- qu’en médecine, c’était le genre hygiéniste, tu vois le topo ? Le toubib qui te dit : Balaye, aspire, aère, nettoie et lave. Alors ? Geindre ; il aime bien geindre le madré ; c’est vrai qu’il se compose un personnage, un discours, un comportement. D’un autre côté, c'est un migraineux en diable, il a de l’arthrose à s’en mettre vendeur sur le marché, il est insomniaque, il a les oreilles qui sifflent comme un régiment de chefs de gare ; tout ça plus ou moins dû à ses blessures de quatorze –invalide à 75%–. Sa main et son avant bras blessé le font souffrir. Indéniable. La taule ; sa femme ses potes disent que ça l’avait cassé ; être haï également. Notes bien qu’il avait toute l’intelligence et la clairvoyance nécessaires pour comprendre le pourquoi et le comment de cette haine. Quant au froid, ça…Le Père Céline y bouffait rien ; se nourrissait de croissants, de pain et de thé et c’est marre ; alors le froid. Et puis, je ne suis pas médecin.
Comment Céline a-t-il pu prendre peu à peu l’allure d’un clodo ?

Je me souviens, lorsque je révisais mes examens, je me collais la tête dedans, 24 heures sur 24, pour compenser les semaines et les semaines de glande. Rapidement, ma tenue s’en ressentait. Le rasage ; je sortais dans la rue m’oxygéner dans l’air du mois de Juin, tel quel, habillé comme un plouc. Me foutais de mon allure ; ma vie se réduisait à des connaissances qu’il fallait mémoriser.

Un petit pavillon planté à un angle de rue, pas loin de chez moi, appartient à plus personne. Son propriétaire est canné, en 98 ou 99 ; sans héritiers, sans famille, sans rien. Ce petit pavillon est resté bouclé, comme ça, bouffé par les haies et les herbes folles. Un jour, la vie est revenue là dedans. Je ne voyais personne ni y entrer, ni en sortir mais on voyait qu’il y avait de la vie. J’ai pensé à un clodo car dans les mois qui précédaient, la porte d’entrée s’était mise à rester entr’ouverte : des racailles ou des mômes curieux. Puis ça s’est professionnalisé. L’occupant fermait. Et dans le minuscule jardinet qui entoure la baraque, des objets se sont accumulés ; des merdes récupérées à droite-à gauche ; des inutilités. Et ça s’accumulait mon pote ! Un bric à brac ; inexploitable. Tu penses, tout était gerbé l’un sur l’autre : tricycle d’enfant, ustensiles de cuisine, caisses en bois et plastique, tabourets, armoires de toilette, tout ! Tout ce que les gens foutent ordinairement dehors le gars récupérait et stockait. Je l’ai vu plusieurs fois le mec. Barbu. Soixante carats ; sortait de son gourbi. Années après années, ce fut une carapace d’objets qui entoura cette baraque. Les bons voisins ce sont évidemment inquiétés de la chose, tu penses. Le Maire a convoqué le mec. Qui est venu. C’était un tech de France Télécom à la retraite. La mairie lui avait proposé un logement social ; dont il n’avait pas voulu. Le gars avait plusieurs apparts à Paris ainsi que son domicile officiel dans une commune voisine. Il venait là de nuit. Pas tous les jours. Et puis un jour, on l’a plus vu. Je ne sais plus quand le voisinage a porté le pet à cause de l’odeur. Effectivement, ça fouettait, la vache ! Du trottoir tu sentais la puanteur. Les archers du roy avec des gars de je ne sais quel service sont venus pour vider le truc un matin. Ils sont entrés dans le gourbi. La baraque était murée de l’intérieur, dis ! Et par un accumoncellement du même genre qu’à l’extérieur. Le mystère. Sauf que les mecs sont tombés sur le cadavre du gars. Les rats avaient bouffé ses guitares, du pied jusqu’à l’aine…

Comment un mec évolue t-il de tech à France télécom, à retraité clochardisé, passant son temps a stocker et ramasser des merdes ? Comment un écrivain mondialement connu, passant pour une des deux plumes du XXème siècle a-t-il voulu se transformer en clodo ? Il avait été convaincu de collaboration ? Merde ! Et combien de condamnés à la libération n’en sont pas devenus clodos pour autant : Xavier Vallat, Charles Maurras, Jacques Chardonne, Lucien Rebatet, Paul Morand, Henry de Montherlant pour ne citer qu’eux.

Lorsque je verrai un jour un ami plutôt perdu de vue, psychothérapeute de son état, je ne manquerai pas de l’interpeler sur le phénomène « clochardisation ». A moins qu’une explication de charbonnier suffise : Ils ne veulent plus de la société ou bien la société ne veut plus d’eux, alors ils font ce qu’il faut pour que cela se voit.